PHOTOREPORTAGE | PARTIE 1

10 510 KILOMÈTRES
SUR 18 ROUES

Un parcours de 12 jours de Sainte-Marie-de-Beauce à Los Angeles

PAR YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Samedi 18 mars, 17h30, je sonne à sa porte. Martin Lebrun m’accueille chez lui à Saint-Isidore de Beauce. Je vais l’accompagner dans un de ses voyages aux États-Unis pour un reportage photo sur le métier de camionneur longue distance.

On passe la soirée à jaser de son métier et apprendre à mieux se connaître. On s’apprête à partager la cabine de son camion pour les 12 prochains jours, 24h sur 24. Mieux vaut savoir si les caractères vont s’accorder.

À 48 ans, Martin est camionneur depuis 30 ans. Très jeune, il savait déjà qu’il voulait conduire des trucks. Ça fait 20 ans qu’il fait de la longue distance, 7 ans qu’il est à l’emploi de Transport Lau-Ann THC.

« Le camionnage pour moi c’est pas un travail, c’est une passion »

Après avoir traversé les campagnes, les montagnes et le désert, sous la pluie, la neige et le vent, voici quelques chiffres de ce périple de Sainte-Marie-de-Beauce à Los Angeles.

DIMANCHE, 19 MARS

De Sainte-Marie-de-Beauce (Québec) à Drumbo (Ontario)

Dimanche matin, avant de partir, nous allons déjeuner avec des amis de Martin, des camionneurs. Près de 200 ans d’expérience autour de la table. Anecdotes et rigolades sont au menu. 

 « T’es bien tombé avec Martin », me rassure Yves Courvilles.

« Content de t’avoir connu Yan », rétorque Yves Guay, pince-sans-rire.

« Vous allez où ? », demande Yves Guay. 

« En Californie ! », lui répond Martin, enthousiaste.

 Les vieux chums se remémorent le bon vieux temps et me parlent des paysages que je m’apprête à découvrir. Claude Chatigny, à la retraite avec 50 ans d’expérience derrière le volant, nous amène chez lui après le déjeuner pour nous montrer les photos des ses anciens camions.

« C’était une autre époque », nous dit Claude.

Nous partons ensuite chercher le camion et son chargement à Sainte-Marie. Direction Los Angeles.

On quitte Sainte-Marie à midi. Petit arrêt pour dîner au resto 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot. 

Les camionneurs longue distance mangent de moins en moins dans les restos avec service aux tables des truck-stops. Dans leurs camions, ils ont micro-ondes et petit réfrigérateur. Martin, lui, se prépare des lunchs. C’est plus économique.

« Et puis des restos avec service, il y en a de moins en moins. C’est maintenant des fastfoods qu’on retrouve dans les truck-stops », me confirme Martin.

La traversée de Toronto se passe bien, pas trop de trafic.

« Toronto c’est la pire ville à traverser pour un camionneur. Il y a toujours des bouchons », m’explique Martin.

On roule jusqu’à Drumbo, Ontario. On se couche, il est 23h.

Martin assis au restaurant 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot.

Martin assis au restaurant 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot.

Martin assis au restaurant 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot.

Martin assis au restaurant 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot.

Martin assis au restaurant 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot.

Martin assis au restaurant 152 à Sainte-Hélène-de-Bagot.

LUNDI, 20 MARS

De Drumbo (Ontario) à Effingham (Illinois)

Lever à 7h le lundi. Une bonne nuit, la couchette de cabine était plus confortable que ce à quoi je m’attendais. Merci mon Dieu, Martin n’est pas un ronfleux.

On traverse l’Ambassador Bridge à Windsor pour rentrer aux États-Unis. Une centaine de camions font déjà la file aux douanes. On perd une bonne heure.

Aux États-Unis, les camionneurs peuvent rouler 11h sur une période de 24 heures, et au Canada, 13h. On doit obligatoirement prendre 8 heures de repos avant de reprendre la route. Le reste des heures est réparti pour les repas, les pauses-toilette, les douches et l'inspection du véhicule. Et tout ça est contrôlé par le nouveau logbook électronique Isaac qui est branché directement dans le système électronique du camion. C’est comme une boîte noire dans les avions, ça enregistre tout et ça contrôle le temps.

C’est donc très difficile pour un chauffeur de reprendre du temps de conduite perdu pour une quelconque raison (bris mécanique, attente aux douanes, embouteillage, etc.). Un retard ici et l’heure de livraison ne fonctionne plus. Certaines entreprises fonctionnent sur rendez-vous pour les chargements et livraisons. Trop d’avance ou trop de retard et on perd du temps à attendre. Le camionneur doit jongler avec tout ça.

On quitte les douanes et traversons Détroit. On passe rapidement le nord-ouest de l’Ohio et on entre en Indiana. En début d’après-midi, on s’arrête dans un Love’s pour une douche. Les truck-stop Love’s sont une des plus grosses bannières aux États-Unis. Les stations offrent tous les services pour les camionneurs, dont des douches et une buanderie. Ce sont les stations préférées de Martin qui possède sa carte fidélité.

La malchance nous frappe au nord d’Indianapolis. Une crevaison ! La roue arrière droite de la remorque est complètement déchiquetée. Chanceux dans notre malchance, on est à 400 mètres de la sortie où se trouve un truck-stop avec service mécanique. On roule à 5 km/h sur l’accotement jusqu’au truck-stop. Deux heures pour le changement de roue et une facture de 1600 $US.

On repart pour un dernier 3 heures et nous bivouaquons à Effingham, Missouri. On réussit à se dénicher une place au truck-stop. C’est le désavantage de rouler jusqu’à tard en soirée. Les places disponibles dans certains truck-stop se remplissent rapidement en fin d’après-midi.

MARDI, 21 MARS

D'Effingham (Illinois) à Webber (Kansas)

Aujourd’hui, Martin a bon espoir de faire ses deux livraisons de matériel pour porcherie fabriqué chez Conception Ro-Main à Saint-Lambert-de-Lauzon. Une à Houstonia au Missouri, et une autre à Webber au Kansas. Mauvais départ, travaux et embouteillage nous ralentissent à Saint-Louis. On arrive quand même à Houstonia un peu avant midi.

On s’active et on reprend la route direction Kansas City, juste avant d'arriver au Kansas. Là, ce sont des champs à perte de vue. 

Tard en soirée, à la brunante, après avoir parcouru de petites routes de campagne en terre battue avec des virages serrés, on parvient à destination. Martin stationne son camion dans la cour de la Zoltenko Farm à Webber.

Trop tard pour décharger. Pas âme qui vive. On dort avec les cochons cette nuit.

MERCREDI, 22 MARS

De Webber (Kansas) à Santa Rosa (Nouveau-Mexique)

Tôt le matin, des employés de la porcherie se présentent et déchargent le matériel.

Notre 4e journée couvrira quatre États et le mercure frôlera les 25 °C. L’avant-midi se passe sur les routes du Kansas. En après-midi, on traverse le nord-ouest de l’Oklahoma et du Texas où le vent souffle avec force. Le vent balaie les champs et transporte la terre et le sable qui rendent la visibilité parfois difficile.

Le Love’s de Santa Rosa au Nouveau-Mexique nous accueille pour la nuit.

JEUDI, 23 MARS

De Santa Rosa (Nouveau-Mexique) à Fenner (Californie)

Item 1 of 6

La traversée de l’Arizona en cette 5e journée nous apporte de nouveaux paysages et quelques changements de saisons. En fin de journée, on rentre en Californie en traversant le fleuve Colorado River. L’arrêt pour la nuit se fera au Najah’s Desert Oasis dans la Réserve nationale de Mojave.

VENDREDI, 24 MARS

De Fenner (Californie) à Yuma (Arizona)

Notre 6e journée nous amènera jusqu’à Yuma en Arizona et nous gâte en beaux paysages. Des montagnes de Los Angeles aux dunes de sable de Yuma.

Aujourd’hui, nous livrons la majeure partie de notre chargement dans un entrepôt de Ascuna, une banlieue nord de Los Angeles au pied des Monts San Gabriel : 42 500 livres de pépites de chocolat du Québec. Lorsqu’on ouvrait les portes de la remorque pour décharger les livraisons précédentes, on pouvait sentir l’odeur de chocolat.

Sitôt les pépites déchargées de la remorque, on est reparti. Pas de temps à perdre, direction Yuma. Notre prochain chargement nous attend : brocolis et laitues.

On atteint Yuma en fin d’après-midi après avoir roulé plein sud depuis Los Angeles en longeant le côté ouest de la Salton Sea bordée au nord et au sud par quelques milliers de kilomètres carrés de champs en agriculture maraîchère.

À Yuma, on se dirige sans tarder vers Nunes Vegetables, un producteur de légumes, pour prendre livraison de brocolis. Plus ou moins 20 000 livres. On n’est pas les premiers, une vingtaine de camions attendent déjà leur tour. Une courte attente d’une trentaine de minutes, juste le temps d’aller au petit coin.

Martin s’assure que le brocoli est à la bonne température et en bonne condition, même s’il a probablement été cueilli le matin même. De la glace est mise sur les boîtes pour les garder plus fraîches.

Pendant ce temps, le chauffeur du camion adjacent au nôtre s’engueule avec les employés responsables des chargements au sujet du poids des palettes de brocolis qu’ils sont en train de mettre dans sa remorque. Il n’est pas d’accord avec le poids et ne veux surtout pas dépasser la limite de charge maximum.

De notre côté, la remorque est chargée selon les instructions de Martin, qui s’assure que les palettes sont disposées de la bonne façon. Le poids du chargement doit être réparti selon un standard; il est mesuré sur le devant, au centre et à l’arrière.

Une fois le brocoli chargé, on se dirige chez Pacific International Cooling pour le chargement de la laitue romaine. Heureusement, cet entrepôt se trouve littéralement à côté de Nunes Vegetables. Une heure et demie d’attente. Il est 21h lorsque la laitue est chargée.

On se présente à la balance du truck-stop pas très loin des entrepôts pour peser notre chargement.

Malheur ! On est trop lourd. On doit retourner chez Pacific International Cooling pour se faire enlever deux palettes. « C’est des choses qui arrivent », me dit Martin en gardant son calme, mais en grinçant un peu des dents. On n’a pas toujours le poids exact de chaque palette et on veut charger la remorque au maximum pour un voyage plus rentable. On ne nous fait pas attendre trop longtemps, Martin est assez persuasif. De retour au truck-stop, le poids est parfait après un 2e essai. C’est le temps de faire dodo. Il est tard.

Pour la suite de l’aventure et le retour au bercail, consultez la deuxième partie de ce récit numérique.